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CHAPITRE I LES ORIGINES ET L'EVOLUTION DE LA FABRICATION DU FER ETAT DE LA QUESTION

Alfonse Gillard


INTRODUCTION

L'utilisation du fer est sans conteste un des événements les plus importants de l'histoire de l'humanité. Or, aucune histoire générale de l'emploi du fer et de sa fabrication n'a été écrite.
La cause en est la difficulté d'entreprendre l'étude et de suivre l'évolution des techniques anciennes alors que, dans la plupart des cas, machines et outils ont disparu et que les représentations figurées que nous pouvons en avoir sont souvent trop imprécises.
Mais avant même d'envisager l'évolution de la fabrication du fer, une question s'impose et à elle seule combien d'encre n'a-t-elle déjà pas fait couler?
Où et quand a-t-on travaillé le fer pour la première fois? De nombreuses hypothèses ont été émises à ce sujet; la majorité croit en l'origine asiatique de la fabrication du fer; quelques-uns pensent au contraire, et sans grand fondement semble-t-il, que le fer fut connu d'abord en Occident1.
Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : le fer ne fut pas le premier métal travaillé. Il est bien normal en effet que l'homme ait d'abord employé les métaux les plus malléables tels que l'or, le cuivre, le bronze.
Le travail du cuivre remonte, en Egypte, aux environs de 8000 avant notre ère2. Ce métal, outre qu'il est très malléable, est un des plus fusibles qui soient. A titre de comparaison avec le fer il fond à 1.000°. Le fer n'entre en fusion qu'à la température de 1.500°.

A l'âge du cuivre succède l'âge du bronze, déjà travaillé vers 2700 avant notre ère3. Néanmoins, le bronze n'apparaît de manière courante qu'en 12004.
Familiarisé avec le cuivre et le bronze, l'homme chercha à travailler le fer. Est-ce à dire que l'on peut situer le premier âge du fer vers 1200 avant notre ère? Non, car, d'une part, on l'avait déjà travaillé bien avant cette époque et d'autre part sa production vers 1200 est encore trop insuffisante (pour que l'on puisse parler d'âge du fer).
On travailla le fer en Egypte déjà aux environs de 3000 avant notre ère. Les pièces de collections égyptiennes de cette époque sont toutes en fer météorique, abondant à la surface du sol et qui fut le premier fer utilisé. Ces pièces sont très rares; elles ne sont que des objets très petits, ayant servi de parures.

LES ORIGINES DE LA METALLURGIE

a)  Dans le Monde
On croit généralement qu'il faut situer les premiers centres métallurgiques aux alentours de 1700 à 1500, dans la région sud du Caucase, entre la mer Noire et la mer Caspienne.
Les Hittites connaissaient également le fer mais tout comme en Egypte, où l'on a retrouvé près de Gaza, des fours datant de 1200, il semble que le manque de bois, seul combustible employé dans la fonte du minerai, n'ait pas permis une production suffisante pour y amener une transformation économique importante.

b)  En Europe
C'est par la Grèce et l'Egée que le fer gagna notre continent où il était connu dès 900 avant notre ère, dans la région de Hallstatt en Autriche. Néanmoins, il est encore fort peu courant en Europe (occidentale) vers 850.
Ce n'est que 250 ans plus tard que les colons grecs, habiles forgerons, abordèrent en Espagne et sur les côtes méditerranéennes. Vers 300 avant notre ère, l'Angleterre fut contractée à son tour.
A cette époque, le fer fut produit en quantité suffisante pour que l'on puisse parler d'âge du fer. Les principaux centres de production étaient le Norique, le Jura, l'Angleterre et les territoires méridionaux de la Gaule où les gîtes métallifères étaient nombreux, et où surtout, existaient des forêts inépuisables, condition essentielle de la métallurgie.

c) Dans le pays de Namur
Si l'on s'accorde généralement sur le fait que de très haute antiquité les populations qui habitèrent les régions comprises entre l'Escaut et le Rhin étaient habiles à travailler le fer, on ne peut dire à quelle époque remontent les premiers pas de la sidérurgie dans ces régions5. C'est le cas pour l'Entre-Sambre-et-Meuse et la vallée mosane.
«Cette question ne sera résolue d'une manière positive que le jour où l'on pourra assigner une date certaine aux couches inférieures de ces immenses dépôts de scories de forge, résidus de la fabrication la plus antique du fer, que l'on rencontrait il y a quelque 25 ans, dans un grand nombre de localités belges, principalement du pays d'Entre-Sambre-et-Meuse», écrivait V. Tahon en 18866.
D'aucuns pensent que nos ancêtres ont appris à connaître le fer le jour où ils durent faire face à des tribus barbares, d'origine peut-être asiatique, dont les armes étaient en fer.
Qu'il ait été introduit dans nos régions par des envahisseurs ou, comme certains le pensent, à la suite de rapports commerciaux, nos ancêtres le connaissaient bien avant l'arrivée des Romains.
Comment le fabriquait-on?

LES PROCEDES PRIMITIFS DE LA FABRICATION DU FER

La technique employée à cette époque est la plus rudimentaire qui soit: le bois et le minerai étaient placés pêle-mêle dans un trou creusé dans le sol; on activait la combustion, d'abord à l'aide du souffle, puis avec un agitateur ou écran fait de larges feuilles d'arbres ou de filaments de sparte tissés7.
Petit à petit, la cavité du foyer dont la surface dépassait rarement cinquante centimètres de diamètre, fut tapissée d'argile. Puis, une ouverture fut pratiquée dans la direction des vents dominants, de façon à établir un tirage naturel. Pour faciliter celui-ci, on construisit souvent pareil foyer à flanc de coteau. Ces fourneaux primitifs sont à l'origine des forges catalanes et corses.
Il arriva aussi qu'on l'établît au milieu d'un tas de scories, légèrement en élévation; dans ce cas, un conduit était creusé à même le sol jusqu'au centre du foyer. On le tapissait d'argile ou de pierres plates. La partie en élévation était sans doute également recouverte d'argile et de pierres plus ou moins inaltérables au feu.
Ces fourneaux primitifs utilisés une ou deux fois seulement, ne permettaient pas d'atteindre la température de fusion du minerai de fer8. Le fer était obtenu à l'état solide. Le résultat de l'opération apparaissait sous la forme d'une masse spongieuse. Le minerai traversant les cendres du charbon de bois subissait une action réductrice qui donnait naissance à une loupe métallique pâteuse contenant des quantités très importantes de scories.
La loupe était retirée du foyer, d'abord par le haut, plus tard par le bas, et la plaçant sur une grosse pierre servant d'enclume, on s'efforçait par cinglage, d'éliminer le plus grand nombre de scories possible de manière à souder les grains de fer les uns aux autres.
Le rendement était très mauvais9.
La masse ainsi cinglée était réchauffée dans le même foyer et après un nouveau forgeage on obtenait une masse de fer qui dépassait rarement dix kilogrammes.

TECHNIQUES METALLURGIQUES A L'EPOQUE GALLO-ROMAINE

La métallurgie gauloise, malgré le développement qu'elle avait pris, n'en avait pas moins conservé «le caractère d'une petite industrie de famille ou de compagnons, tenant de près, lorsqu'elle ne lui était pas entièrement unie, au petit commerce»10.
Les Romains organisèrent cette industrie naissante en lui apportant une main-d'œuvre servile abondante et des capitaux. Toutes les régions minières de leur vaste empire furent industrialisées.
L'Entre-Sambre-et-Meuse et le Condroz n'échappèrent pas à cette règle. On y a retrouvé de nombreux vestiges d'une très grande activité industrielle.
Outre les monceaux de scories appelés «crayats de sarrasins» disséminés un peu partout et notamment à Géronsart (Boussu-en-Fagne)11,
Couvin, Nismes, Senzeilles, Philippeville, Vodecée, Villers-le-Gambon, Silenrieux, Doische, Hastière, Morville, Walcourt, Yves, Florennes, Praire, Fairaux, Laneffe, Oret, Biesmerée, Mettet, Biesmes, Gerpinnes, Gougnies, Sart-Eustache, Presles, Aiseau, Ciney, Leignon, Mohiville, Samson, Wierde, Louvegnée (Ben-Ahin)..., on a découvert les restes de plusieurs fourneaux que l'on a cru pouvoir dater des premiers siècles de notre ère12. Parmi ceux-ci, les bas fourneaux de Lustin, découverts en 1870. A septante centimètres de profondeur du sol actuel, on découvrit deux cavités ayant la forme de cônes tronqués renversés et à base elliptique, distantes l'une de l'autre de dix mètres et creusées à deux mètres seulement du bord de la Meuse. Le grand axe, à l'orifice du cône mesurait quatre mètres trente; le petit axe, trois mètres vingt13. Ces cavités simplement creusées dans l'argile, sans revêtement, avaient environ un mètre de profondeur. Elles étaient pouvues, chacune, d'un canal revêtu de pierres plates, occupant la même position dans les deux cuves, celle des vents dominants.
La situation en bordure de la Meuse et la grandeur de ces deux cuves nous étonnent.
En effet, la construction d'un fourneau au bord d'une rivière, en soi excellente pour l'apport éventuel de combustible et de minerai, n'implique pas moins un risque très grand dû aux dangers d'inondation.
Les métallurgistes de cette époque ne se sont guère souciés de ce danger, car ces fourneaux ne leur permettaient qu'une ou deux fusions et de plus la construction de semblables foyers, creusés à même l'argile, ne nécessitait aucun frais.
Les proportions de ces cuves sont extraordinairement grandes. Certes, on sait que les Romains s'étaient efforcés d'agrandir le volume de leurs fourneaux mais quant à atteindre en surface plus de quatre mètres de long sur trois mètres de large et un mètre de profondeur, il semble que ces bas fourneaux de Lustin constituent une exception qui du point de vue technique ne dut pas donner d'excellents résultats.
Vers L879, on découvrit encore dans l'Entre-Sambre-et-Meuse, un véritable centre métallurgique. A Motville, entre Anthée et Rosée, un groupe considérable de sub-structions belgo-romaines ont été identifiées comme les vestiges de treize ateliers métallurgiques autour desquels devaient s'élever de nombreuses huttes sur une aire de huit cents mètres de longueur et de deux cents mètres de largeur14. Parmi ces bâtiments, figure le périmètre d'une halle de vingt huit mètres sur vingt cinq, vaste atelier ou magasin. Au centre des ruines on découvrit enfin les creusets de six bas fourneaux.
Ces découvertes archéologiques nous aident, dans une certaine mesure, à établir les progrès techniques de l'antique métallurgie gauloise suite à l'établissement des Romains.
Progrès techniques

Les Romains, à la différence des Gaulois, connaissaient les propriétés du métal qu'ils élaboraient. Ils savaient fabriquer l'acier15, et avaient découvert les traitements thermiques16. Ils obtenaient l'acier, non à partir de la fonte, qu'ils ne pouvaient produire, mais par l'opération de cémentation qui consistait à réchauffer le fer dans du charbon de bois. Le charbon de bois cédait son carbone au fer et le résultat obtenu était l'acier. On a souvent dit que le guerrier gaulois n'avait, pour se défendre devant l'envahisseur romain, que des armes dont le fer pliait sous le choc. Le minerai de fer employé par les Gaulois était-il de moindre qualité que celui que le forgeron romain avait à sa disposition? Non pas, mais les Gaulois ignoraient le procédé de la trempe qui leur fut révélé par les Romains.
Au point de vue purement technique on attribue aux Romains quelques perfectionnements, tels que l'emploi exclusif du charbon de bois dans la fusion du minerai, de fondants tels que la chaux et surtout une innovation d'importance, l'emploi des soufflets. Ces soufflets qui substituaient le tirage forcé au tirage naturel furent en principe des espèces d'outre qu'ils dégonflaient dans le foyer. Peut-être usaient-ils d'appareils de souffleries plus perfectionnés mais il faudra attendre encore quelques siècles pour voir naître les soufflets à diaphragme mobile.
Le fourneau est en général plus vaste et mieux conçu. Il est fait de pierres, parfois de maçonnerie et sa cavité intérieure prend la forme d'un tronc de cône renversé17. Après avoir laissé le fer élaboré, s'affiner pendant quelque temps sous l'action du vent, le «ferrarius» armé de ses tenailles forceps, le retire et le martèle sur l'enclume de fer. La lime, à la main, ou la meule, mue par le pied, corrigent enfin les aspérités du forgeage et rendent les produits finis, marchands18.

LA PERIODE FRANQUE ET LE HAUT MOYEN AGE

Avec le IVe siècle commence la période troublée des invasions. La métallurgie et le commerce de fer vont connaître une assez nette régression. Le système économique établi par les Romains est ébranlé. La disparition presque complète des échanges va réduire l'industrie du fer à une industrie purement locale. Cette régression se marque nettement dans le fait qu'après les grandes invasions, presque tous les édifices seront construits en bois, car on ne possède plus les outils nécessaires à la taille des pierres19.
Néanmoins l'industrie du fer dans l'Entre-Sambre-et-Meuse semble avoir été moins éprouvée et après l'installation des Francs elle retrouve une certaine activité. Dès le VIe siècle la région mosane connaît un commerce assez actif comme en témoigne l'établissement de villes étapes aussi prospères que Dinant, Namur, Huy, Visé, Maestricht20.
Au VIP siècle, les abbayes de Malonne, Fosses, Lobbes, jouèrent un grand rôle dans le renouveau économique de l'Entre-Sambre-et-Meuse. Leur champ d'action ne dut pas se cantonner uniquement dans l'agriculture; on a souvent négligé en effet, l'influence dans le domaine industriel de certains ordres monastiques dont la règle prescrivait le travail manuel et pourtant seules ces abbayes remplissaient les conditions économiques suffisantes. Elles possédaient les forêts et surtout la main-d'œuvre nécessaire. Dans la seconde moitée du VIIIe siècle, le commerce et l'industrie connurent un important regain d'activité.
Les invasions normandes qui, dans l'ensemble, freinèrent quelque peu l'expansion économique de l'époque ne portèrent guère préjudice à la prospérité de la vallée mosane. M. F. Rousseau y constate une activité économique importante (pour l'époque). Dans la seconde moitié du Xe siècle, presque tous les ateliers monétaires de la Basse-Lotharingie se trouvent sur la Meuse; ce sont: Dinant, Namur, Huy, Liège, Visé, Maestricht21.
C'est du reste aux Xe et XIe siècles, à en juger par la floraison de constructions en pierre qui marque l'époque romane, que s'amorce la résurrection industrielle qui donnera naissance à des transformations techniques capitales dans la métallurgie22.
Mais avant d'aborder ce chapitre essayons de faire le point des progrès techniques réalisés par la sidérurgie du Ve au Xe siècle.
Les progrès techniques de la sidérurgie du Ve au Xe siècle
L'examen, par des procédés micro et macrographiques, des nombreuses
armes retrouvées dans les tombeaux de période franque, nous permet d'établir que les connaissances métallographiques des Francs étaient aussi étendues que celles que nous possédions vers 188023.
La technique métallurgique sur laquelle se fonde l'armement nouveau est absolument différente de la technique romaine. En effet, les Romains employaient des masses de métal relativement importantes, en parties trempées. Aux siècles suivants, il semble-que l'on eut du mal à travailler des masses aussi grandes de métal. La fabrication des armes s'opérait par la juxtaposition de petites quantités de métaux de nuances différentes : un métal doux en général du fer presque pur employé pour son élasticité; un métal plus pur donc plus résistant, qui demeurait en général relativement peu carburé ; la masse prenait ainsi un aspect feuilleté et offrait la résistance du contre-plaqué24. D'avant les résultats obtenus à cette époque, on peut certes parler de technique métallurgique poussée. Le fer fabriqué contient encore des scories mais dans des proportions infiniment moindres et dans certains cas, elles ont complètement disparu. La fabrication de l'acier se fait encore par cémentation. Les procédés de soudure employés frisent la perfection. Le chef-d'œuvre de cette technique des armes sera l'épée damassée.
Pendant cette période qui va du Ve au Xe siècle quelques transformations furent apportées aux appareils de fusion du minerai de fer.
Tout d'abord au bas foyer du type catalan.
Durant le Moyen Age, les métallurgistes perfectionnèrent son emploi : ils ne chargeaient plus par couches horizontales superposées, le combustible et le minerai, mais en deux colonnes verticales juxtaposées. La colonne de combustible se trouvait du côté de l'arrivée d'air et était couverte d'une couche imperméable de fraisil fin humecté d'eau, qui forçait l'oxyde de carbone dégagé par le combustible à traverser la colonne de minerai25.
Au VIIIe siècle, période pendant laquelle la métallurgie connaît un regain d'activité dans nos régions, en particulier sous le règne de Charle-magne, on veut produire davantage et l'on exhausse petit à petit le bas foyer primitif. Cette transformation est peut-être bien antérieure au VIIIe siècle, et les premiers essais dans ce sens peuvent remonter à l'époque romaine. Les vestiges des fourneaux retrouvés à Vodecée et que l'on a datés du IIIe siècle témoignent des essais d'exhaussement des bas fourneaux dès cette époque. Le creuset avait nonante centimètres de diamètre et quarante à cinquante centimètres de profondeur. La partie supérieure du fourneau faite de pierres et d'argile devait se détruire après chaque
opération. Ce type de fourneau constitue l'étape intermédiaire entre le bas fourneau et le fourneau à masse26.
Auparavant on avait essayé d'augmenter la section horizontale de la cuve27. Mais les résultats ne furent guère intéressants car il était malaisé de faire arriver l'air jusqu'au centre du foyer28. C'est pourquoi on préféra exhausser le bas foyer au-dessus du sol. On abandonna progressivement la construction des fourneaux dans la terre et on les érigea entièrement sur le sol. L'aboutissement de ces transformations fut le fourneau à masse (Stuckhofen) qui fit son apparition en Europe Centrale au VIIIe siècle29. La dimension de ces fourneaux ne devait pas dépasser deux mètres cinquante de haut sur cinquante centimètres de diamètre tandis que les parois avaient généralement trente à quarante centimètres d'épaisseur30. Ce resteront, à peu de chose près, les dimensions des fourneaux jusqu'aux XII-XIIIe siècles. Une ouverture à la base du fourneau permettait de retirer, après l'opération, la loupe de fer brut que l'on affinait par des martelages à chaud répétés. Ce genre de fourneau produisait (selon V. Tahon), une masse de fer de cent à cent cinquante kilogrammes après sept à huit heures d'élaboration31.

LES TRANSFORMATIONS ECONOMIQUES ET TECHNIQUES DU XIe AU XIVe SIECLE

La sidérurgie occupa très peu de place dans l'économie médiévale jusqu'aux Xe-XIe siècles. Jusqu'à cette époque par contraste avec l'industrie drapière, le commerce du fer n'est pas encore spécialisé. Si ce n'est dans les villes telles que Paris et Londres, le fer se vend dans les merceries.
Hormis quelques exceptions, telles que les fournitures en armes à destination de la Terre Sainte, effectuées par des armateurs milanais ou vénitiens, le commerce du fer est resté un commerce purement local ou tout au moins régional.
A partir du XIe siècle et jusqu'au début du XIVe siècle, l'industrie métallurgique connaît un essor tout particulier. L'emploi du fer augmente considérablement. Cette augmentation importante de la demande est en rapport avec la forte poussée démographique de l'époque. Les villes s'accroissent et s'entourent de fortifications. Le niveau de vie s'élève.
:6 A.S.Â.N., t. XII, pp. 190-191; t. XXI, p. 456.
27 Cet essai remonte aux premiers siècles de notre ère et nous en avons un exemple dans les
fourneaux de Lustin.
L'évolution économique se traduit par la reprise du mouvement des échanges et l'accroissement de la masse monétaire. La frappe de l'or reprend entre la fin du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe siècle32.
L'accroissement de la consommation oblige les ferons à produire plus.
De manière à augmenter la masse de fer travaillé, ils construisent des fourneaux de plus en plus grands. Cependant, plus le fourneau s'exhausse, plus le maniement des soufflets devient pénible. D'autre part, la loupe de fer étant plus volumineuse c'est à grand-peine que les forgerons parviennent à la marteler sur l'enclume avec la seule force de leurs bras. Ces difficultés provoquent une transformation capitale dans la métallurgie : l'utilisation de l'énergie hydraulique dans la manœuvre des lourds marteaux de forge et des appareils de souffleries. Les usines, d'itinérantes qu'elles étaient, s'installent sur les rivières et deviennent fixes. L'industrie du fer se localise sur les ruisseaux dont le courant d'eau est rapide et le débit suffisant pour actionner plusieurs roues à aubes.
Dans nos régions, aux rivières de pente moyenne, on devra souvent construire des «retenues d'eau» réservoirs ou barrages, pour régulariser le débit de l'eau et constituer des chutes de hauteur plus ou moins grande suivant l'importance de l'usine.
Un système très employé pour alimenter plus efficacement les roues hydrauliques fut l'érection de conduites souvent appelées «béalières» qui amenaient l'eau au-dessus des aubes33.
La première révolution de la technique métallurgique fut, comme nous l'avons dit, l'adaptation de l'énergie hydraulique à la manœuvre de lourds marteaux de forge. Le principe en est simple: la roue hydraulique entraîne un arbre sur lequel sont disposées des cames. Les cames agissent sur le manche du marteau qui pivote sur deux tourillons. Son poids le fait ensuite retomber sur l'enclume. Cette innovation permettra la production de fers mieux débarrassés de leurs impuretés et de plus grandes dimensions. La production pourra en outre s'accroître considérablement sans demande supplémentaire de main-d'œuvre. Cette technique fut employée en France, où l'on donne le nom de «moulin à fer» à ce genre d'usine, dès la première moitié du XIIe siècle, notamment dans les Pyrénées catalanes34.

LA FABRICATION ET LE COMMERCE DU FER AUX XIVe, XVe ET XVIe SIECLES

LE XIVe siècle

Durant le XIVe siècle, l'industrie du fer connaît une légère régression.
Elle est surtout sensible en France, dans la seconde moitié du siècle, quand
la guerre de cent ans écarte les forgerons de leurs usines. Le trafic du fer
y diminue de moitié entre 1375 et 1395. Dans le comté de Namur, par
contre, c'est l'époque où la métallurgie acquiert une importance sans cesse
accrue.
Le manque de main-d'œuvre constitue partout un obstacle majeur au développement de l'industrie. On doit faire appel à des étrangers parmi lesquels les Allemands sont en majorité. Ainsi en est-il en France, notamment en Berry et en Nivernais35. Le comte de Namur, Guillaume Ier, cherchant des ouvriers pour ses forges de Marche, dut se résoudre sans doute aussi à engager des forgerons allemands. Dans les comptes de 1345, nous lisons que mécontante de la redevance en nature trop élevée, «une poise et demie de fer de plokestoire par semaine» qu'ils devaient payer au comte pour la location de leurs forges à Jausse36, les ferons menacèrent de retourner «en leur pays en Alemagne»37.
Cette légère régression du commerce du fer eut une heureuse répercussion. En effet, les essais tentés à cette époque pour étendre son emploi à une plus grande échelle, furent la cause des importants progrès techniques qui se réalisèrent aux siècles suivants.
Les XVe et XVIe siècles
Dès la première moitié du XVe siècle, s'opère un merveilleux redressement économique. La Renaissance se caractérise par une extension considérable de l'usage du fer, substituant au bois un matériau infiniment plus résistant. Il y a peu d'illustrations plus spectaculaires de ce phénomène que les carnets de Léonard de Vinci. Ils marquent sur leurs devanciers du XVe siècle une évolution significative à ce sujet. Nous y voyons, pour la première fois, des machines à travailler le fer, encore que ce ne soit, dans la plupart des cas, que le produit d'imagination sans grand lien, sans doute, avec la réalité38.
Au XVIe siècle, suite à l'utilisation généralisée de divers perfectionnements techniques, la production du fer ne cesse d'augmenter. On l'emploie dans la décoration des palais, surtout en Italie et en Allemagne. L'artillerie
réclame pour ses seuls besoins une part considérable de la production. Partout les usines se multiplient. Une enquête faite en France en 1542, conclut à l'existence de 460 usines travaillant le fer. De ces 460 usines, 400 avaient été construites dans les cinquante dernières années. En 1500, il n'y avait guère plus de 3 hauts fourneaux en Angleterre. A la fin du siècle il y en avait sans doute plus de 10039.
Les XVe et XVIe siècles marquent sans doute les débuts de l'âge du métal. Son utilisation en quantité plus grande qu'auparavant est la conséquence de la création d'un certain nombre de machines qui permirent de le travailler avec plus de facilité. La renaissance industrielle des XVe et XVIe siècles doit surtout beaucoup à l'apparition et à l'expansion du haut fourneau.

LE HAUT FOURNEAU

Lorsqu'aux XIIe et XIIIe siècles, les forges émigrèrent vers les cours d'eau, leurs fourneaux furent construits en matériaux plus durables; une maçonnerie de pierres et de briques, pour l'extérieur, la brique réfractaire pour l'intérieur. Petit à petit leur hauteur augmenta proportionnellement avec les exigences de la demande et atteignit trois, quatre et même cinq mètres dans les régions les plus économiquement favorisées. Selon certains auteurs, ces fourneaux étaient capables de produire trois ou quatre loupes de fer de cent à trois cents kilogs par 24 heures40. Il ne restait qu'un pas à franchir pour arriver au haut fourneau. L'adaptation de la force hydraulique à des souffleries de plus en plus puissantes produisait la température nécessaire à l'élaboration du minerai de fonte41. Dès lors, on dut fabriquer accidentellement de la fonte ici ou là. Il est vraisemblable que cette élaboration de fonte, qu'ils considéraient comme un déchet, dut causer des soucis aux métallurgistes de l'époque. Ce n'est que petit à petit qu'ils apprirent à l'employer.
Il est à peu près impossible de donner à l'apparition du haut fourneau, une date et un lieu précis. Toutefois, l'opinion généralement admise situe les premiers hauts fourneaux à la fin du XIVe-début du XVe siècle, et vraisemblablement dans le pays de Liège42.
Le haut fourneau donne, non plus du fer comme dans les méthodes employées avant sa découverte, mais de la fonte. On produira désormais le fer marchand en deux temps: réduction du minerai en fonte dans le haut fourneau et transformation, à la forge, de la fonte en fer malléable. La méthode indirecte se substitue à la méthode directe. Le progrès est considérable: jusqu'à présent la production était simple et n'exigeait pas de division de travail mais elle était faible, lente, onéreuse, imparfaite, elle utilisait mal le minerai et ne pouvait faire de grosses pièces de forges; dès lors sa clientèle devait être forcément limitée43. Le haut fourneau produisant beaucoup plus en utilisant au mieux le minerai, on conçoit aisément le rôle important qu'il joua dans la renaissance industrielle des XVe-XVIe siècles. Néanmoins, malgré les avantages qu'il procurait, il est normal qu'il ne remplaça pas d'un seul coup les méthodes précédentes d'élaboration du fer qui tinrent bon encore pendant le XVe siècle.
C'est au XVIe que l'emploi du haut fourneau se généralisa et. qu'eut lieu, tout au moins dans certaines régions, la substitution totale de la méthode indirecte à la méthode directe44.
Au XVe siècle, dans sa forme définitive, le haut fourneau se présentait sous l'aspect d'une construction massive ayant la forme d'une pyramide quadrangulaire tronquée de cinq à dix mètres de haut45. Le vide intérieur, revêtu de produits réfractaires affectait la forme de deux pyramides qua-drangulaires tronquées accolées par leurs grandes bases. La cuve ainsi formée surmontait l'«ouvrage», et le «creuset». Par des orifices communiquant avec l'extérieur, les tuyères insufflaient dans l'«ouvrage» le vent de soumets actionnés par roues hydrauliques. Une pierre verticale appelée «dame» retenait le métal fondu dans le creuset. On évacuait la fonte par un petit orifice situé dans le coin de la «dame» et que l'on bouchait avec de l'argile pendant l'opération. On chargeait évidemment le fourneau par sa partie supérieure appelée «gueulard», on y plaçait en couches alternatives le minerai de fer et le charbon de bois avec du fondant. La production journalière de semblable fourneau atteignait jusqu'à cinq mille kilogs.
base réelle. J. FRANQUOY, Mémoire sur l'historique des progrès de la fabrication du fer dans le pays de Liège, dans les Mémoires de la Société libre d'Emulation de Liège, 1860, p. 211.
Néanmoins, comme nous le verrons, il y avait plusieurs fourneaux en activité dans le comté de Namur à la fin du XIVe siècle. 3 B. GILLES, Les origines de la grande ind. métal, en France, p. 16.
Il fonctionnait en marche continue et il n'était éteint qu'en fin de campagne «après trois à neuf mois et même davantage»46.
Suivant l'emploi que l'on fit de la fonte on distingua bientôt deux sortes de hauts fourneaux: le haut fourneau d'affinage et le haut fourneau de moulage47. Le premier en principe ne produisait que des «gueuses» en fonte et le second était destiné à la fabrication de grosses pièces moulées dans le sol, canons, boulets, plaques de foyer et surtout les cylindres qui serviront aux laminoirs et aux fonderies.
C'est par affinage, c'est-à-dire en «brûlant» le carbone en excédent, que l'on transformait la fonte en fer. Plusieurs méthodes d'affinage furent mises au point et notamment la wallonne, la champenoise, l'allemande, la styrienne etc...
La plus répandue d'entre elles, la méthode wallonne, consistait à amener les gueuses en fonte sur un foyer au charbon de bois. La flamme oxydante produite par un jet d'air brûlait le carbone contenu dans la fonte ; le fer tombait goutte à goutte au fond du foyer où il s'agglomérait sous forme de loupes que l'on traitait ensuite par martelage.

LAMINOIRS ET PENDERIES

Résultats d'essais tentés sans doute dès le XIVe siècle, laminoirs et fenderies apparaissent à la fin du XVe siècle ou au début du XVIe siècle.
Le laminoir a pour but la fabrication de la tôle. Il consiste essentiellement en deux cylindres compresseurs, tournant en sens inverse, entre lesquels on place la barre de fer. La fenderie a pour objet la confection des vergettes de fer utilisées dans la fabrication des clous, du fil de fer, des canons de fusils etc... Deux cylindres fendeurs découpent la tôle obtenue au laminoir. Ces deux machines se complètent donc. Une fenderie comprendra en général un laminoir et deux cylindres fendeurs, le tout mû par des roues hydrauliques. Il semble que ces deux machines, les plus importantes des nombreuses innovations techniques des XVe et XVIe siècles, furent mises au point dans le pays de Liège.

Ces procédés d'élaboration du fer restèrent à peu de chose près, ceux que l'on employa jusqu'au XIXe siècle. Ce n'est qu'en 1855 que, Bessemer ayant remarqué que l'insufflation d'un courant d'air dans la fonte liquide donnait lieu à l'affinage de la fonte et à la production d'une très forte température, les procédés d'élaboration du fer à l'état liquide prirent naissance.

CONCLUSIONS

Dans toute cette évolution de la fabrication du fer, depuis les Gaulois, jusqu'au XVIe siècle, le facteur économique prédomine. Certes, des inventions parfois capitales ont pour origine le hasard ; c'est le cas pour la création de la fonte mais une norme se dégage de toutes ces transformations: les techniques n'ont que peu de chance de se perfectionner en période de stabilité économique. Pourquoi en effet, modifierait-on les modes de fabrication qui assurent des bénéfices substantiels? On a du reste contrôlé que les forges les plus arriérées, sous le rapport technique, sont précisément celles où se produisent les meilleurs fers à acier48.
Une période de stabilité démographique ne peut amener non plus des perfectionnements techniques. Il en va tout autrement lorsqu'il existe, comme pendant le XIe, XIIe et le XIIIe siècles, une forte poussée démographique. Pour qu'il y ait progrès technique il faut nécessairement une expansion monétaire. Le progrès technique nécessite des investissements et le parallélisme entre l'accroissement de la population et celui de la consommation ne peut avoir lieu que si cette population dispose de ressources monétaires croissantes49.

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General update: 19-01-2012 07:54
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